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Publié : 28 novembre 2008

Réforme des lycées : un trompe l’oeil

Le ministre Xavier Darcos nous a annoncé une réforme des lycées pour faire reculer le redoublement, actuellement à 15% de la seconde au cycle terminal, en proposant du soutien aux élèves en difficultés scolaires. Ces propositions semblent novatrices : découpage de l’année en semestres, enseignements de détermination sous forme de modules exploratoires et même un module d’accompagnement personnalisé...

Dans la plupart des lycées, sous couvert de choix d’options (« européenne », mpi...), il y a des secondes « d’élite » et des classes de moindre niveau. Le projet actuel prétend y mettre fin par le choix de modules libres tant au premier qu’au second semestre.

Or, pendant les 21 heures de tronc commun, les élèves seront dans des groupes-classe comme actuellement, au contraire d’une organisation totalement modulaire. Cela ne signifie pas que les élèves seront regroupés, ségrégués... mais il faut se poser la question de la constitution de ces groupes-classe.

Courant juin, les conseils de classe de 3ème délibéreront du passage au lycée et les élèves devront annoncer leur choix de module de premier semestre, au plus tard à l’inscription au lycée. Pour des raisons de facilité ou d’incapacité à rechercher des solutions souples et novatrices, les concepteurs des emplois du temps vont regrouper les élèves en groupes-classe homogènes... en prenant le module choisi comme critère d’assemblage.

Il serait possible d’imaginer que les élèves choisiront comme ils voudront... l’expérience montre que les collèges de zones prioritaires ou « ambition réussite » poussent les élèves vers des choix « adaptés ». Les choix de modules et par conséquent l’organisation des groupes-classe feront donc largement perdurer la ségrégation sociale.

Seconde disposition, les modules d’accompagnement personnalisés... Qui ne peut applaudir ! Car, depuis des années, le soutien scolaire payant s’est développé, coté en Bourse, et a explosé grâce à la déduction fiscale des cours particuliers... pour les familles favorisées.

La balance sera-elle enfin rétablie par le service public et gratuit ? Non, car ces modules « d’accompagnement personnalisé » vont permettre de proposer des modules d’approfondissement aux élèves qui n’ont pas besoin de soutien, le texte ministériel indiquant : « En fonction de leurs besoins et de leurs demandes, les élèves se verront proposer [...], pour ceux qui sont le plus à l’aise, un travail d’expertise. »

Un élève un peu juste pourra, si ses parents lui paient du soutien à domicile, bénéficier de trois heures d’approfondissement qui, loin de réduire l’écart socio-économique, contribueront à le creuser. Il sera possible de ressusciter une filière composée de deux modules semestriels math + physique et d’un module d’approfondissement scientifique, soit entre 6 et 7 heures de mathématique et 5 ou 6 heures de sciences expérimentales par semaine !

Reste la question du passage en cycle terminal. Avec le maintien de 70% du temps scolaire en enseignements généraux, qui constituent le coeur de l’échec des enfants de milieux défavorisés, il y a peu de chances d’améliorer la performance globale : par quel miracle réussirions-nous là où nous échouons depuis plusieurs décennies ?

Car le passage restera fondé sur la « moyenne » obtenue entre ces disciplines structurant des compétences similaires : analyser, rédiger, argumenter, difficiles à construire quand on vient d’un milieu dans lequel elles ne sont pas pratiquées au quotidien.

Cette réforme semble prétendre mais ne pas se donner les moyens... Est-ce le fait d’une erreur ? Difficile à croire de la part de l’expert de l’éducation nationale qu’est Xavier Darcos.

Et si, par delà l’affichage de la réduction des redoublements, nous n’avions simplement que l’expression de la volonté de réduire le coût du lycée français, supérieur à la moyenne européenne mais avec des performances inférieures ? Cela n’expliquerait pas la reconstitution potentielle d’une filière d’élite.

Il faut donc analyser cette réforme comme les autres réformes du président :

- sur la forme, faire appel à des personnalités étiquetées « à gauche » (JP Gaudemar) et des idées progressistes (l’enseignement modulaire) de façon à faire croire que la réforme est « de gauche » ;

- poursuivre la réduction brutale et irréfléchie de la dépense publique [1] ;

- satisfaire les milieux libéraux-conservateurs : ne pas ruiner le soutien scolaire payant, maintenir un cadre de lycée traditionnel, offrir la possibilité d’un enseignement à deux vitesses ;

- mouiller le plus possible de partenaires socio-économiques : l’ensemble des syndicats a signé un constat sans appel « le lycée actuel ne fonctionne plus » ;

- brouiller les frontières droite-gauche, conservateurs-progressistes : beaucoup voient dans la réforme l’ombre des « pédagogisants » [2] alors qu’il faudrait aller chercher les cercles « Sauvez-nous de toute évolution » qui entourent ce gouvernement.

Cette réforme n’est en rien progressiste : c’est un magnifique ouvrage de tromperie politique.

Notes

[1Au Canada où ce type de réforme a été ainsi menée, après une décennie, la conclusion c’est qu’au bout du compte l’économie est illusoire car mal structurée, obligeant à des dépenses correctrices, ou à une prise en charge par les personnes plus coûteuse que la prise en charge collective. C’était aussi la conclusion de Tony Blair après les années Tatcher.

[2Philippe Mérieu, la CFDT, les Crap, la Ligue de l’enseignement...