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Publié : 11 septembre 2009

Les risques du métier ?

Notre métier n’est pas toujours facile : certains élèves semblent ignorer, mais parfois n’ignorent pas du tous, qu’ils ont une personne devant eux, qui mérite autant de respect qu’ils en méritent eux-mêmes. Et certains hiérarques semblent aussi faire preuve de beaucoup d’irrespect des personnes qui travaillent avec eux, privilégiant, vieille pratique misérable, l’ouverture d’un illusoire parapluie à la place de la recherche solidaire et réfléchie [1] des moyens de retrouver une situation propice au seul objectif des établissement scolaires : la formation des jeunes. Ce qui suit est paru dans le Monde.

Vngt-cinq années d’une vie d’enseignant et puis cette seconde de dérapage. José Machado n’en finit pas de revoir la taloche qui a envoyé dinguer un élève de 15 ans, le 22 octobre 2008, à 15 heures, dans un couloir du Centre de formation d’apprentis (CFA), à Auxerre (Yonne). Le moment d’égarement lui a valu un licenciement pour faute grave de la part de son employeur, un établissement de droit privé. Dans une décision rendue ce jeudi 10 septembre, le tribunal des prud’hommes vient d’estimer la sanction injustifiée, exigeant la réintégration de l’employé et le versement de 20 000 euros au titre du préjudice moral.

Le professeur de sport, âgé de 49 ans, ancien délégué CGT du CFA, se dit soulagé. "Je regrette profondément mon geste", assure-t-il. D’autant que l’adolescent, apprenti couvreur, n’était pas un caïd ou un trublion d’atelier, juste un bêta qui voulait faire rire les copains. A haute voix, il a insulté l’enseignant. Une insolence de plus. "C’était devenu monnaie courante. Quelques jours avant, un élève m’avait lancé : "Va te faire enc... !" Alors le trop-plein a débordé. L’accumulation du stress, des incivilités subies m’a fait exploser."

A partir de là, les versions, du formateur, de la direction, de la famille du jeune, divergent. Sur la violence du coup d’abord : gifle ou coup de poing ? L’hôpital d’Auxerre notera "une tuméfaction" autour d’un oeil, infligée avec la paume. Sur l’idée de la plainte, ensuite, déposée par la famille : "La direction nous a influencés, assure la mère. Elle nous a dressés contre M. Machado, nous l’a présenté comme un récidiviste qui ne voulait même pas nous rencontrer. Elle nous a même accompagnés jusqu’à la police." A quoi Alain Tomczak, 46 ans, directeur du CFA répond : "Je n’ai jamais incité la mère à porter plainte."

Ce soir-là, José Machado sous-estime encore les conséquences de son geste. "Je ne pensais pas qu’une gifle à un élève qui m’avait manqué de respect pouvait conduire à tout ça." Cet éducateur de football part donc en fin de journée entraîner son équipe de jeunes, ne répond pas aux messages pressants d’Alain Tomczak, avec qui il entretient des relations difficiles, et découvre plus tard le dépôt de plainte et la procédure disciplinaire.

Dans les jours suivants, il rencontre les parents chez eux. "Il s’est excusé, explique la mère. Je me suis aperçu que ce n’était pas du tout ce qu’on m’en avait dit, qu’on voulait nous utiliser pour régler des comptes." La famille retire sa plainte et envoie un courrier pour défendre le professeur. "Est-ce parce que nous avons intercédé ? Trois jours après, mon fils était sanctionné d’un avertissement pour insulte à professeur." Les rapports s’aigrissent très vite entre la famille et la direction. A la rentrée, l’adolescent a d’ailleurs changé de centre d’apprentissage.

L’affaire Machado est bien vite classée sans suite par le procureur. Mais, le 20 novembre 2008, l’employé reçoit sa lettre de licenciement. "Ma vie s’effondrait, explique cet émigré portugais, arrivé à Auxerre à 9 ans sans parler un mot de français. Je n’ai jamais eu un blâme ou un avertissement. Et là, on signait ma mort sociale, pour une gifle." L’affaire faire grand bruit dans la petite ville et divise. José Machado reçoit même le soutien de Guy Roux, le célèbre entraîneur. La grève des collègues n’y fait rien, non plus. La direction reste inflexible, évoque un autre principe. "Quelle est la valeur d’une société où la violence est utilisée comme outil pédagogique ?, explique Alain Tomczak. Nous avons pesé la gravité de l’acte, au regard de l’insulte proférée, et l’avons jugée inadmissible. Le coup aurait pu avoir des conséquences dramatiques."

Le directeur évoque un autre argument. "Imaginez que nous ne prenions pas de sanction adéquate, que demain, il recommence, que diraient les parents ? Qui serait jugé responsable de l’avoir laissé agir une nouvelle fois ? " Disproportion d’une claque par rapport à une insulte ou disproportion d’un licenciement par rapport à une gifle ? Le tribunal des prud’hommes a tranché en première instance. Le CFA doit réunir un conseil d’administration pour décider s’il fait appel de la réintégration.

Benoît Hopquin

Voir en ligne : Le Monde

Notes

[1il ne s’agit pas d’excuser la violence, qui est toujours un constat d’échec, mais d’analyser les causes de tels incidents et de rechercher les moyens collectifs de les éviter